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15.05.25

Une révolution en marche à la Cour de cassation ?

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Une révolution en marche à la Cour de cassation

Faut-il introduire l’opinion séparée à la Cour de cassation ?

Telle était la question à laquelle la Cour de cassation, réunie en grande chambre, a répondu publiquement début mai 2025, à l’occasion de la présentation du rapport intitulé « Motivation enrichie et opinion séparée – Renforcer la confiance dans le processus de décision à la Cour de cassation », fruit d’une réflexion amorcée depuis 2014.

Ce rapport témoigne de l’ambition renouvelée de la Cour de cassation de renforcer la lisibilité et la transparence du raisonnement judiciaire afin de mieux le partager et mieux le faire comprendre.

On le sait, il y a encore vingt ans, la rédaction des arrêts de la Cour de cassation était brève et souvent hermétique. Leur compréhension était donc réservée aux initiés et difficilement accessible aux justiciables.

Consciente que la rédaction de ses arrêts constitue un enjeu majeur pour renforcer l’intelligibilité de ses décisions, tant pour les justiciables que pour les juristes et l’ensemble de la communauté juridique, la Cour de cassation a adopté, en 2023, un guide relatif à la motivation enrichie. Elle adopte désormais une motivation qui intègre des éléments traditionnellement passés sous silence, en les articulant de manière à en faire les maillons intermédiaires qui révèlent le raisonnement suivi par les hauts magistrats et justifiant le principe énoncé dans la décision.

Après cette première, la Cour de cassation propose désormais d’aller plus loin en introduisant l’opinion séparée, également appelée « opinion dissidente ».

Par cette opinion séparée, un ou plusieurs magistrats qui ne partagent pas la position majoritaire, sont autorisés à exprimer leur désaccord dans la décision de justice. Cette pratique, courante dans de nombreuses juridictions européennes et internationales, comme la Cour européenne des droits de l’Homme, est aujourd’hui interdite aux juges français.

Monsieur le Président Christophe Soulard et Monsieur Remy Heitz, procureur général près la Cour de cassation, ont souligné que le travail conduit sous la direction de Madame Agnès Martinel, Présidente de la deuxième chambre civile, propose une réflexion approfondie sur cette pratique : le rapport en analyse les apports, examine son fonctionnement à l’étranger, et envisage plusieurs pistes pour une mise en œuvre en France.

Trois modalités sont envisagées :

  • la publication nominative des opinions séparées ;
  • leur publication de manière anonymisée ;
  • ou encore leur utilisation non publiée, comme outil de discussion et d’enrichissement du délibéré et des décisions de justice.

Si la publication nominative a été écartée, et que la publication anonymisée supposerait une réforme législative, la troisième option pourrait, elle, être testée rapidement dans les formations les plus solennelles de la Cour. Aujourd’hui, seul l’organe d’appel de l’Organisation Mondiale du Commerce recourt à ce format d’opinion séparée.

Cette solution, bien qu’en apparence plus discrète, a vocation à structurer les échanges entre les conseillers lors des délibérés. Elle permettra de nourrir et de renforcer la qualité du débat afin de rendre plus lisibles, compréhensibles et accessibles par tous les décisions de justice, mais aussi de renforcer et d’étayer leur motivation.

S’il est indéniable qu’il s’agit d’une avancée majeure, favorisant un débat plus approfondi et enrichissant le raisonnement juridique au stade du délibéré, il faut être conscient que, du côté des magistrats, cette réforme constitue un bouleversement significatif de leurs habitudes.

Dans un contexte où la sécurité juridique et la clarté du droit sont plus que jamais essentielles, le cabinet Munier-Apaire salue cette orientation ambitieuse vers une justice plus lisible, plus transparente et plus accessible aux citoyens.

Cette évolution permettra également de faire preuve de pédagogie envers le grand public, qui sera ainsi mieux à même de cerner et de comprendre les problématiques et les enjeux tranchés. À l’instar de la Cour de Strasbourg, gageons que cette innovation contribuera à une meilleure connaissance de l’œuvre de Justice, et à une meilleure compréhension de la mission délicate confiée à nos hauts magistrats, appelés à trancher des questions juridiques complexes et souvent inédites.