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27.10.23

Les éoliennes au pays de Marcel Proust

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Les éoliennes au pays de Marcel Proust

Conseil d’Etat, 4 octobre 2023, n°464855, Société Combray Energie c/ Société les Amis de Marcel Proust

 

On sait que le régime juridique des installations classées qui s’applique aux éoliennes impose l’obtention préalable d’une autorisation environnementale délivrée par le Préfet qui vérifie si ces installations « peuvent présenter des dangers ou des inconvénients […] pour la protection de la nature, de l’environnement et des paysages » (art. L.511-1 du code de l’environnement).

Qu’en est-il des espaces qui ne présentent pas en tant que tels des caractéristiques esthétiques particulières mais dont la valeur patrimoniale est acquise en raison de leur valeur historique et mémorielle ? Existe-t-il un paysage immatériel digne de protection ?

Cette affaire a été l’occasion pour le Conseil d’Etat de dire que l’exigence de protection des paysages issue des dispositions de l’article L.511-1 du code de l’environnement peut conduire à refuser une autorisation d’implantation d’un parc éolien afin de préserver le paysage du village de Combray décrit par Marcel Proust dans son œuvre littéraire, reconnaissant ainsi pour la première fois la composante immatérielle de ce paysage liée à son évocation au sein d’une œuvre littéraire de renommée mondiale.

En l’espèce, une société de production d’électricité avait sollicité une autorisation environnementale pour l’installation et l’exploitation d’un parc éolien non loin du site remarquable d’Illiers-Combray classé au titre de l’article L.631-1 du code du patrimoine et ses abords pour avoir été évoqué dans l’œuvre majeure de Marcel Proust, A la recherche du temps perdu.

La Cour d’appel avait souligné que Marcel Proust avait décrit la plupart de ces lieux, où il passait des vacances lorsqu’il était enfant, dans la première partie de son roman A la recherche du temps perdu intitulé Combray publié en 1913, et relevé que ce lien qui existe entre ce paysage et l’œuvre de Marcel Proust avait été à l’origine de l’avis négatif opposé au projet d’implantation du parc éolien qui était de nature à porter une atteinte significative non seulement à deux monuments historiques, mais aussi au site remarquable classé et à l’intérêt paysager et patrimonial du village où des acteurs publics et privés réalisent des actions culturelles autour de l’œuvre de Marcel Proust dont les évocations littéraires sont encore pour partie matériellement inscrites dans ces lieux.

La Cour avait aussi relevé que les éoliennes auraient été très clairement visibles depuis certains lieux se situant au sein du périmètre de ce site patrimonial remarquable ou à sa périphérie, ce qui risquerait de porter une atteinte significative à l’ensemble du site ainsi qu’à l’intérêt paysager et patrimonial d’Illiers-Combray.

Pour reprendre les propos de Monsieur Nicolas Agnoux, rapporteur public, « bien que ce paysage soit partiellement anthropisé, il conserve pour l’essentiel son aspect champêtre et le gigantisme propre aux éoliennes porterait clairement atteinte à sa puissance évocatrice ».

Les conclusions du rapporteur public sont particulièrement éclairantes sur les trois critères cumulatifs qu’il a proposé au Conseil d’Etat de retenir pour justifier dans un tels cas un refus d’autorisation :

1°) La renommée de l’œuvre ou sa place particulière dans l’histoire de l’art ;

2°) L’existence d’une relation étroite entre et l’œuvre et un paysage inscrit dans un lieu précis ;

3°) Un état de conservation des lieux suffisant, au regard de la description qui en est faite dans l’œuvre.

Le Conseil d’Etat, qui conclut au rejet du pourvoi, a retenu que ces trois critères étaient en l’espèce bien réunis. Il approuve ainsi la cour d’appel qui a, sans erreur de droit, pris en considération des éléments qui ont trait aux dimensions historiques, mémorielles, culturelles et notamment littéraires du paysage, pour juger que le projet litigieux n’était pas compatible avec l’exigence de protection des paysages résultant des dispositions de l’article L.511-1 du code de l’environnement.

Ainsi, cette décision est importante en ce qu’elle consacre une dimension nouvelle du paysage à protéger dès lors que le juge est invité aussi à prendre en compte, s’il y a lieu, sa composante immatérielle.