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25.01.24

Quand la recherche de la vérité triomphe sur la loyauté

Presse

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Quand la recherche de la vérité triomphe sur la loyauté

https://www.courdecassation.fr/decision/65855660673fa80008f8d98d

On le sait, le procès est un sport de combat dont la partie qui triomphe est celle qui a pu apporter la preuve du bienfondé de ses prétentions.

Dans cet affrontement judiciaire, «si les coups bas sont interdits, les simples ruses de guerre ne le sont pas » (Carbonnier)

C’est ce que vient de juger l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation par un arrêt rendu le 22 décembre 2023 en déclarant recevable un enregistrement clandestin effectué sur smartphone.

Dans cette affaire, un salarié était chargé de prospecter et de démarcher de nouveaux clients, en toute autonomie, pour une PME. Son employeur ayant constaté une chute vertigineuse et inexpliquée de son chiffre d’affaires, lui a demandé communication de ses relevés d’activités, ce que le salarié a refusé à plusieurs reprises. L’ayant licencié pour faute grave, l’employeur, dans le cadre du procès prud’homal, a produit aux débats l’enregistrement sonore d’entretiens professionnels d’ordre disciplinaire qu’il avait effectué à l’insu du salarié, démontrant que le salarié avait reconnu la réalité des fautes qui lui été reprochées.

La cour d’appel a déclaré cette preuve irrecevable, car déloyale, et en l’absence d’autre preuve, elle a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le cabinet a formé un pourvoi en cassation pour l’employeur et a sollicité un revirement de jurisprudence car, depuis un arrêt d’Assemblée Plénière du 7 janvier 2011 (n° 09-14.316, 09-14.667) la Cour de cassation retenait qu’au nom de la dignité et de la crédibilité de la Justice le juge civil doit écarter des débats une preuve déloyale.

Il a obtenu ce changement solennel par l’arrêt de principe du 22 décembre 2023 (20-20.648), rendu par toutes les chambres de la Cour de cassation réunies en formation d’Assemblée Plénière, qui dispose :

« Il y a lieu de considérer désormais que, dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats.

Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et le droit antinomique en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi » (point 12).

Ce revirement de jurisprudence était nécessaire pour assurer à chaque justiciable l’équité du procès civil et garantir le droit A la preuve protégé par l’article 6 § 1 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (CEDH 10 octobre 2006, arrêt L.L. c/ France n° 7508/02)

Il était aussi souhaitable dès lors qu’en matière prud’homale, l’employeur a seul la charge de prouver la faute grave et que le doute profite toujours au salarié (art. L1333-1 C. du travail)

En déclarant recevable l’enregistrement clandestin produit par l’employeur, la Cour de cassation, qui aligne ainsi sa jurisprudence sur celle de la Cour de Strasbourg, a rendu effectif son droit à la preuve. Elle a aussi rendu équitable le procès, en assurant l’égalité des armes et le débat contradictoire puisque chaque partie est en mesure de discuter les preuves – toutes les preuves – de son adversaire, sous l’arbitrage impartial du juge.

Enfin, cette avancée procédurale unifie les règles du procès civil sur celles du procès pénal (AP, 10 novembre 2017, n° 17-82.028), où une preuve produite par un particulier ne peut être écartée au seul motif qu’elle a été obtenue de façon illicite ou déloyale.

Utile dans tous les domaines sensibles où il y a lieu de briser le silence et où les preuves manquent : social (harcèlement, discrimination), famille (divorce, violences), affaires (commercial, concurrence, consommation) ….. cette jurisprudence et les nouvelles technologies permettront désormais au juge d’être éclairé, de connaitre la réalité des faits et, n’étant plus être aveuglé par le doute, de trancher équitablement le litige au terme d’un débat loyal et contradictoire.

La vérité judiciaire s’approche ainsi de la Vérité.