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08.12.21

Les rapports subtils du droit au respect de la vie privée avec la diffamation et la liberté d’expression

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Les rapports subtils du droit au respect de la vie privée avec la diffamation et la liberté d’expression

 

Arrêt de la Première Chambre civile du 20 octobre 2021, n° 20-14.354

Décision – Pourvoi n°20-14.354 | Légifrance

 

On sait que le régime juridique de la diffamation impose le respect de formalités bien particulières « à peine de nullité de la poursuite », y compris devant la juridiction civile, et oblige la victime à agir dans un délai de prescription très court, de seulement trois mois.

 

Qu’en est-il lorsque la victime reproche à un organe de presse d’avoir porté atteinte à sa vie privée et plus précisément à sa réputation ? : Peut-elle choisir de fonder son action sur l’article 9 du code civil ou bien doit-elle impérativement la fonder sur la loi de 1881, à l’exclusion de tout autre fondement, à peine de nullité de son action civile ?

 

Cette affaire a été l’occasion pour la Première chambre civile de la Cour de Cassation de statuer sur la question sensible pour la presse de la mise en balance du droit à la protection de la vie privée face au droit à l’information du public.

 

Plus juridiquement, il fallait articuler la loi de 1881 sur la liberté de la presse, l’article 9 du code civil, ainsi que l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.

 

La victime se plaignait de la révélation dans la presse de son identité à propos de l’information d’un fait divers, en l’espèce, un accident dans lequel elle a été impliquée.

 

Elle fondait son action sur l’article 9 du code civil (qui protège le droit à la vie privée), en reprochant au journal défendeur non seulement la révélation de son identité, mais également l’atteinte portée à sa réputation pour l’avoir présentée comme responsable de l’accident de la circulation.

 

En défense, l’organe de presse se prévalait de la jurisprudence selon laquelle, lorsque la diffamation est caractérisée, la loi de 1881 s’applique et est exclusive de tout autre fondement juridique, de sorte qu’il opposait la nullité de l’assignation en faisant valoir que l’action était « mal engagée » sur le fondement de l’article 9 du code civil.

 

Tel n’est pas l’avis de la Cour de Cassation qui rejette le pourvoi de l’organe de presse.

 

La Cour de Cassation juge qu’une assignation est délivrée valablement au visa de l’article 9 du code civil lorsque, comme ici, le demandeur reproche à l’article litigieux d’avoir révélé son identité ainsi que son implication présumée fautive dans l’accident de la circulation dont il a été victime, et invoque une « atteinte à sa réputation et à sa vie privée », mais sans se plaindre d’un fait précis de nature à porter atteinte à son honneur et à sa réputation.

 

Cet arrêt consacre le droit pour la victime d’agir sur le fondement de l’atteinte à la vie privée plutôt que sur celui de la diffamation (même quand elle invoque une atteinte à la vie privée), et d’échapper ainsi aux contraintes liées au régime juridique très strict de la diffamation, dès lors que l’atteinte à la réputation dénoncée résulte de l’imputation de faits qui ne sont pas précis.

 

La haute juridiction rappelle également que la liberté d’expression, appréhendée ici sous l’angle de la liberté de la presse d’informer le public sur un sujet d’intérêt général (accident de la circulation d’une certaine importance), ne peut, par principe, pas justifier une atteinte au droit au respect de la vie privée.

 

Le juge doit mettre en balance ces droits d’égale valeur et s’assurer que seuls les éléments d’ordre privé, s’ils sont strictement nécessaires à l’information du public et de nature à nourrir le débat public sur le sujet, ont été divulgués.

 

La Cour de Cassation approuve ainsi la cour d’appel d’avoir retenu que, si l’accident de la circulation a bien constitué un sujet d’intérêt général, en revanche, la révélation de l’identité du demandeur n’était pas de nature à nourrir le débat public sur le sujet, de sorte que l’article litigieux avait porté une atteinte au droit au respect de la vie privée du demandeur.

 

Madeleine MUNIER APAIRE