La note en délibéré de dernière minute
Conseil d’Etat, 3ème et 8ème ch., 23 décembre 2024, Département du Calvados et autres, req. n°474467
A l’occasion d’un contentieux indemnitaire opposant trois départements, dont le département du Calvados, à l’Etat, le Conseil d’Etat est venu préciser le régime temporel de la note en délibéré.
En vertu de l’article R.731-3 du code de justice administrative, “à l’issue de l’audience, toute partie à l’instance peut adresser au président de la formation de jugement une note en délibéré“.
Cet article marque “le point de départ” du dépôt de la note en délibéré, qui permet de répondre par écrit aux conclusions du rapporteur public (CE, Sect. 21 juin 2013, Communauté d’agglomération du pays de Martigues, n°352427, p. 167 ; CE, 10 février 2020, Me Courtoux, req. n°427282), et qui peut être envoyée “à l’issue de l’audience“.
Mais jusqu’à quel moment une note en délibéré peut-elle être utilement adressée avant que la juridiction se prononce ?
Dans cette affaire, le département du Calvados, après l’audience publique qui s’était tenue le 3 mars 2022 devant le tribunal administratif de Caen, avait déposé une note en délibéré, le 8 mars 2022, soit le même jour que celui où le jugement avait été rendu public.
La cour administrative d’appel de Nantes avait considéré que “dans ces conditions“, cette note en délibéré n’avait pas à être visée par le tribunal car elle “ne peut être regardée comme étant parvenue à la juridiction avant que celle-ci ne rende sa décision” (CAA Nantes, req. n°22NT01414, point 4).
Le Conseil d’Etat censure cette analyse en faisant produire son plein effet au régime de la note en délibéré.
En effet, après avoir rappelé, conformément à la jurisprudence “M. et Mme Leniau” (CE, 12 juillet 2022, req. n°236125, T. p. 992 ; CE, Sect., 5 février 2024, Préfet des Pyrénées Orientales, req. n°340943, p. 93), que “lorsqu’il est régulièrement saisi, à l’issue de l’audience, d’une note en délibéré émanant de l’une des parties, il appartient dans tous les cas au juge administratif d’en prendre connaissance avant de rendre sa décision ainsi que de la viser, sans toutefois l’analyser dès lors qu’il n’est pas amené à rouvrir l’instruction et à la soumettre au débat contradictoire pour tenir compte des éléments nouveau qu’elle contient“.
La Haute Assemblée ajoute qu’il “en va ainsi y compris dans le cas où la note en délibéré est enregistrée le jour même où est rendue la décision mais avant qu’elle ne soit prononcée par sa mise à disposition au greffe de la juridiction” (point 4).
L’application de cette solution au cas d’espèce conduit ensuite le Conseil d’Etat à invalider le point de vue des juges d’appel pour erreur de droit, après avoir constaté que la note en délibéré du département du Calvados avait été enregistrée le 8 mars 2022 à 07h03 au greffe du tribunal administratif de Caen, cependant que le jugement avait été prononcé par sa mise à disposition au greffe le même jour… mais trois heures plus tard, à 10h00.
Cette solution est très protectrice des droits des parties qui peuvent donc encore déposer une note en délibéré le jour du prononcé du jugement.
Le Conseil d’Etat aurait-il rendu la même décision si le département avait produit sa note en délibéré à 9h30 ? Ou l’aurait-il assorti d’un tempérament tenant compte du délai minimum raisonnable dont doit pouvoir disposer la formation de jugement pour être informée de cette production de dernière minute et décider de prolonger le délibéré ? Affaire à suivre …